Adam Lam, vice-président du Gaipes : «Il y aurait une vraie fraude sur les licences de pêche»

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COMMUNIQUE DE PRESSE : Licences de pêche, la Recherche scientifique se prononce sur l’état de la ressource
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Membre éminent du secteur de la pêche depuis 35 ans environ, ancien directeur de la Sopasen, M. Adama Lam se prononce ici sur les implications et les enjeux de l’introduction de 56 navires de pêche dans les eaux sénégalaises, en violation, selon lui, de toutes les procédures et des règles régissant le secteur. Il estime que si les choses ne sont pas corrigées rapidement c’est toute la pêche sénégalaise qui est condamnée à disparaître à moyen terme.

Depuis un certain temps, le ton monte entre les organisations des pêcheurs et leur ministère de tutelle à la suite de l’agrément d’une cinquantaine de bateaux chinois. Pourquoi la situation actuelle est-elle plus grave que quand on a parlé de bateaux russes, ou même, de la mise en place d’usines à farine de poisson ?
Votre question appelle d’abord la nécessité de bien camper le sujet pour permettre au lecteur de bien saisir la problématique. On dit que la répétition est pédagogique.
Le Gaipes avait constaté vers le mois de septembre 2019, des mouvements importants de navires chinois et turcs dans le port de pêche au môle 10 du Pad, avec des débarquements de poissons divers dans des cartons sans aucune inscription, ce qu’on appelle des cartons neutres. Le Groupement s’est renseigné et a obtenu une copie d’une licence d’un navire chinois portant une immatriculation sénégalaise, avec sur la licence : Pêche demersale profonde, option poissonniers céphalopodiers. En professionnels de la pêche, nous avions noté que cette option n’existait pas dans le code de la pêche, ni dans son décret d’application et en plus, nous nous demandions si la sénégalisation du navire était conforme à la loi. Pour en avoir le cœur net, le Gaipes a saisi le ministère chargé des Pêches pour des éclaircissements.
C’est ainsi que Madame la ministre de l’époque a convoqué une réunion élargie aux autres acteurs de la pêche artisanale. Après confirmation de l’existence de cette licence «hors la loi» par le Directeur des Pêches Maritimes (Dpm) avec comme justificatif de cette décision qu’un ministre  pouvait donner une licence qui n’était pas dans la loi, Mme la ministre a décidé de mettre en place une commission technique composée des professionnels industriels, pêcheurs artisans et des techniciens du Département des pêches pour faire la lumière sur cette affaire. Je signale que lors de cette réunion, l’Adminis­tration des pêches ne voulait pas donner ou indiquait ne pas savoir le nombre exact de navires qui ont bénéficié de ces licences illégales. Cette commission a tenu deux séances et identifié 12 navires dont les licences sont jugées non conformes à la loi. Cette commission n’a jamais demandé la régularisation de ces dossiers, et cela se comprend car le travail n’était pas exhaustif et terminé.
Mme la ministre a été remplacée au Département des pêches au mois de novembre 2019 et les travaux de la commission ont été purement et simplement arrêtés. Les acteurs de la pêche artisanale et ceux de la pêche industrielle ont alors saisi l’Ofnac pour signaler que de forts soupçons de corruption et de concussion pèsent sur la délivrance de ces licences dont on ne veut pas divulguer le nombre. 12 erreurs, c’est impossible à croire pour des dossiers qui passent devant autant de professionnels qui gèrent les licences !
Au mois d’avril, en plein Etat d’urgence dû au Covid 19, le directeur des Pêches maritimes a convoqué une autre séance de la Commission consultative d’attribution des licences de pêches pour étudier à domicile, 56 nouveaux dossiers de demandes de promesses de licences de bateaux chinois et turcs. Les membres de la commission devaient répondre par oui ou non sur les dossiers, ce qui est contraire à l’esprit de la commission dont les échanges sont interactifs en tenant compte de l’avis du Crodt (Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye) sur la disponibilité des ressources halieutiques, presque toutes surexploitées ou en pleine exploitation. Bref, notre demande de report de la réunion du fait du nombre de bateaux, du contexte de la pandémie, de la nécessaire rencontre avec le ministre de tutelle pour attirer son attention sur la gravité de la situation, a reçu une fin de non-recevoir. La presse est saisie pour alerter l’opinion.
Pour répondre à votre question, il m’a paru nécessaire de faire ce rappel, tellement la situation est inédite dans l’histoire halieutique de notre pays. 56 navires (dont 52 sont des étrangers) à étudier et on se rend compte qu’il y a déjà 56 autres bateaux dans la pêcherie des eaux sénégalaises. S’il est vrai que les 56 premières demandes ont été théoriquement rejetées ces derniers jours, le problème reste entier avec 56 navires étrangers ayant bénéficié de licences de pêche et de sénégalisation. C’est le désastre le plus important tant par le nombre que par les espèces effectivement ciblées et débarquées par ces bateaux (poissons des fonds moyens (thiofs, diarègne, sompatte, etc.), poissons de surface (pélagiques : yaboy, diaye, weuyeung) dont vivent nos populations, et surtout espèces que cible aussi la pêche artisanale. Les bateaux russes faisaient des incursions dans la pêcherie avec l’accord secret de l’Etat et arrêtaient leur intervention avec la pression des pêcheurs sur les décideurs. Mais cette fois-ci, ces bateaux chinois sont introduits de manière définitive avec leur sénégalisation non conforme aux lois de notre pays.
Cette question est aussi plus destructrice que les usines de farine de poisson parce que les navires pêchent pour exporter sur le stock de poissons que la pêche artisanale a l’habitude de capturer. Les usines de farine de poissons privaient nos populations de poissons, nos femmes transformatrices de matières premières et enfin incitaient à une surexploitation des petits pélagiques, ce qui conduirait à une grave crise alimentaire, mais le prélèvement devrait être fait par des pirogues si le gel des licences est respecté.

Des informations contradictoires sont avancées en ce qui concerne l’état de la ressource halieutique. A qui selon vous, devrait-on se fier ?
L’avis de la recherche scientifique (Crodt) a été volontairement ignoré en ce qui concerne l’introduction de ces navires dans le pavillon et la pêcherie, avec évidemment, la complicité de Sénégalais qui servent de prête-noms. Le faux prétexte, c’est de dire que des campagnes d’évaluation directes des stocks de poissons n’ont pas été faites. Mais pourquoi elles n’ont pas eu lieu ? Parce qu’un avis du Crodt, qui s’appuie sur des constats physiques, dérange. Les crédits budgétaires qui ont été votés pour qu’il fasse son travail n’ont pas été mis à sa disposition selon les informations reçues.
Je parle de faux prétexte aussi parce que malgré cela, une évaluation indirecte des ressources halieutiques par le Crodt est possible. La preuve, c’est que, saisi par le Gaipes au nom de la coalition des pêcheurs, le Centre de recherche halieutique (Crodt) a émis un avis sans appel sur l’état désastreux des stocks de poissons pour la plupart des pêcheries. L’avis du Crodt est fondamental pour la possibilité de donner ou non des licences de pêche. Mais, même en dehors du principe de précaution qui recommande la prudence en matière de ressources épuisables, comment comprendre que l’on interdise l’immatriculation de nouvelles pirogues en faveur de la pêche artisanale, que l’on interdise l’immatriculation de nouveaux bateaux par les industriels sur la pêche démersale côtière, que l’on mobilise dans un projet de l’Etat des fonds pour la destruction de navires sénégalais afin de réduire l’effort de pêche, pour ensuite donner 56 licences de pêche à des navires étrangers faussement sénégalisés ! Le comble, c’est que l’on commence par donner les licences sur un segment de pêche qui n’existe pas dans la loi, qu’on «régularise» sur la base de promesses de licences non conformes aux textes législatifs, et qui plus est, sur un stock inexistant ! Tout cela est fait sciemment et des navires étrangers ôtent le pain de la bouche des pêcheurs et des consommateurs sénégalais.
Le vrai débat n’est pas sur une question de nationalité, de couleur de peau ou de stigmatisation d’un pays. Ce sont des ressources nationales régies par des lois et règlements et qui de surcroit, nourrissent nos populations parce qu’étant directement comestibles, contrairement au pétrole et au gaz. Alors pourquoi tant de désintéressement vis-à-vis de ce qui fait le ciment social de notre Nation et qui plus est, la nourrit ?

N’existe-t-il pas de cadre de concertation entre les différents acteurs de la pêche ?
Vous avez raison de poser cette question tellement la contradiction est frappante avec la multitude d’organisations bien structurées dans le secteur de la pêche. Les acteurs ont toujours eu des cadres de concertations mais nous constatons qu’à chaque fois qu’il y a une crise majeure, on essaie d’opposer la pêche artisanale, toutes composantes confondues, à la pêche industrielle. Ces entités sont effectivement les grandes branches du secteur de la pêche maritime. Le but est connu : diviser pour mieux brader la ressource ! Un pays comme le Sénégal a besoin de sa pêche artisanale, de sa pêche industrielle et des acteurs connexes.
Quand le Département des pêches a besoin des acteurs, il sait où les trouver car sur ce dossier, les principaux acteurs parlent d’une même voix dans le cadre de la coalition mise en place et qui continuera d’exister quelles que soient les solutions trouvées. Les ministres passent et laissent toujours en place les acteurs et les ressources halieutiques. La rengaine est la même, faute d’arguments crédibles : c’est le Gaipes qui détruit la mer, c’est le Gaipes qui embarque la pêche artisanale (pourtant très mature) sur des chemins tortueux, c’est le Gaipes qui met les bâtons dans les roues des ministres des Pêches. Pourtant, Messieurs Sadibou Fall, Djibo Ka (paix à son âme), Souleymane Ndéné Ndiaye, Mme Aminata Mbengue, aucun de ces ministres n’a eu des divergences profondes avec les pêcheurs. Il faut donc chercher l’erreur ailleurs ! Le Gaipes ne fait que s’inscrire dans l’objet de sa création, comme tout syndicat : défendre les intérêts matériels et moraux de la profession.
Pour dialoguer, il faut être deux au moins. Le Département des pêches semblerait ignorer, à moins que je ne me trompe, les instructions du chef de l’Etat demandant une large concertation avec tous les acteurs, dans le respect des textes en vigueur. En effet, si on ne discute pas avec ceux qui sont membres de la coalition où tous les acteurs qui contestent les décisions sont représentés, c’est qu’on ne veut pas trouver une solution.
De deux choses hypothétiques l’une, en souvenir de mon passage dans l’Administration : la tutelle a reçu des instructions fermes de donner des licences de pêche. Si cela est exact, la mise en œuvre ne peut s’opérer que dans le respect des textes en vigueur, comme aimait le rappeler feu Jean Collin (Que la terre lui soit légère) lorsqu’il transmettait des instructions présidentielles. C’est cela l’esprit d’une administration républicaine. En effet, comment des promesses de licences de pêche valables 6 mois et renouvelables une seule fois, peuvent-elles être renouvelées en 2018, en 2019 et validées en 2020 ! Et l’autorité nous dit que je n’ai signé que des renouvellements de licences sur la base des promesses. Eh bien, c’est de l’illégalité que l’on essaie de faire passer en se dédouanant par la continuité du service public et la solidarité gouvernementale. Ces 56 licences de pêche, pour la plupart, sont nulles et non avenues au regard des lois de notre pays (caducité de la promesse, pas de passage obligé à la Commission d’attribution des licences, etc.), et de surcroit sur une ressource inexistante (le merlu). Ce procédé était simplement une porte d’entrée pour taper sur les démersaux et le pélagique côtier. Laisser pourrir la situation pour espérer une lassitude des acteurs semble être la stratégie. Les vrais acteurs sont déterminés mais ouverts au dialogue. Ils ne sont pas des adversaires, encore moins des ennemis ou des «va-t’en guerre». Même les guerres mondiales ont fini autour d’une table de négociation et on est très loin de cette situation.
L’autre : la tutelle prendrait ses propres responsabilités ou s’appuierait sur les services techniques qui l’ont induit en erreur, en validant et en délivrant des licences de pêche sur le stock de demandes non conformes. La prudence aurait dû être observée tant pour le démarrage d’une carrière ministérielle que pour le respect des textes de loi, d’autant que l’essentiel des 56 licences est supposé être délivré sur un stock de 3 000 tonnes, soit une pêche de 2 mois par année et par bateau. C’est hallucinant aussi bien pour l’épuisement programmé de cette ressource que pour la rentabilité économique et financière desdits bateaux. Cela veut dire, en réalité, qu’on permet à ces navires de faire des activités en violation de leur licence de pêche. C’est une faute grave (art 125, alinéa f du code de la pêche).
En tant que Sénégalais, certes novice dans la chose politicienne, il me semble que l’une ou l’autre de ces hypothèses desservirait profondément les actions de M. le président de la République en matière de pêche car, 56 navires qui pêchent en majorité dans les 12 miles, c’est-à-dire sur le stock de démersaux, en plus de l’effort de pêche existant, c’est condamner irrémédiablement toute la pêche maritime à l’arrêt à plus ou moins long terme. Les captures débarquées sont passées en 3 ans, de 400 000 à 450 000 tonnes, puis environ 525 000 tonnes. Ces statistiques parlent d’elles-mêmes et les débarquements des produits capturés dans les pays limitrophes sont effectués sur ce stock transnational. La bonne question, c’est dans combien de temps il n’y aura plus une écaille dans nos eaux maritimes. Tous les efforts consentis pendant des décennies par l’Etat, les communautés de pêcheurs, les bailleurs de fonds seraient annihilés.
De l’autre côté, «ventre vide n’a pas d’oreilles», dit l’adage. Laisser pourrir la situation c’est faire le lit d’une dégradation profonde des conditions de vie des pêcheurs et des populations à faible revenu qui, d’une part, trouvent dans la pêche une activité refuge durant les temps de soudure, d’autre part, affaiblit l’apport en protéines des populations. Développer une perspective d’émergence suppose un climat social apaisé sur un secteur retenu dans les grappes de croissance, comme secteur prioritaire.

Pourquoi alors ce dialogue de sourds, et comment pourrait-on y mettre fin ?
Le dialogue de sourds est introduit par la tutelle, à mon avis. Les professionnels du secteur privé demandent le respect des lois et la sauvegarde de leur outil de travail et la tutelle répond par une personnalisation du débat autour de personnes dont le seul tort est d’être des dirigeants d’un syndicat patronal. Tout y passe : accusation de chantage, monopole inexistant, club de «richards», ségrégation, alors que le Gaipes compte dans ses membres des partenaires chinois, coréens, espagnols, français et tutti quanti. La propre personne de ces acteurs, certes importants, n’intéresse pas le commun des Sénégalais. C’est à croire qu’on n’est plus dans une République et que le fait d’être un industriel qui a honnêtement réussi est une tare ! Tout le monde sait que même le bonnet de la tutelle est plus important que ces messieurs. S’il leur arrivait de le piétiner par inadvertance, ils ne passeraient pas la nuit chez eux ! Un ministre, c’est le démembrement du président de la République et sa posture doit s’inscrire dans la grandeur de cette fonction. En tous cas, moi je sais ce qu’est la dimension de la charge de ministre de la République pour avoir passé dix ans dans l’Administration sénégalaise. Il faudrait que certains comprennent qu’ils sont parmi les meilleurs parce que choisis par le chef de l’Etat mais nous tous réunis, nous sommes bien meilleurs qu’eux. Ce rappel était un viatique pour les princes du Sine fraîchement intronisés.
Le vrai débat posé est, je le rappelle : combien de licences ont été accordées en 2018, 2019, 2020, par qui et sur quel segment de pêche ? Quel est l’effort de pêche que les différentes ressources peuvent supporter ? Les «sénégalisations» des navires sont-elles adossées sur le respect des lois ? Comment relancer le secteur de la pêche en cette période de pandémie et de post pandémie ?
Pour mettre fin à ce blocage, il faudrait, à mon avis, que l’autorité reprenne la main sur ce dossier et écoute les récriminations des vrais acteurs, sans exclusive. Il y a une petite nuance entre une tutelle et une autorité directe. Un facilitateur, et beaucoup de bonnes volontés se sont offertes, pourrait favoriser le rapprochement. En écoutant les acteurs, je note que la plupart des organisations déplorent ce qu’elles considèrent comme un manque de respect de la part de la tutelle. Certains affirment, qu’en plus de les infantiliser comme étant à la remorque du Gaipes, des courriers sont adressés au Département des pêches sans même un accusé de réception, a fortiori traiter les questions qui sont posées. Le Gaipes souligne qu’au moins 3 courriers adressés au Département de tutelle, bien avant la crise, sont restés sans réponse.
Par ailleurs, les rumeurs les plus folles circulent dans le milieu de la pêche au point d’indisposer et d’affliger tout le monde. Vrai ou faux, beaucoup d’acteurs penseraient que ce serait une vraie machine de fraude sur les licences qui se serait installée dans l’Administration des pêches avec la complicité de certaines autorités et fonctionnaires, par le biais d’officines parallèles. Aucun cadre ou directeur de L’Administration, directement concerné par ce dossier, ne veut éclairer la lanterne des acteurs sur les dossiers de sénégalisation et les licences de pêche incriminées, malgré des saisines par voie d’huissier. Quelle est la bonne information ? Si publier la liste des navires qui pêchent dans nos eaux est un secret d’Etat, cela accrédite de plus en plus ces rumeurs qui n’honorent personne ! Cette liste est d’utilité publique et devrait être accessible à tous les citoyens et même aux étrangers désireux d’investir dans notre pays. L’Etat doit nécessairement éclairer ses citoyens sur ces vraies ou fausses «affaires». Les pêcheurs ont l’habitude de dire que le poisson pourrit par la tête et j’espère que les acteurs échapperont à cette maxime.
En un mot la confiance est rompue et profondément, même si je reconnais qu’il est toujours temps de bien faire malgré le fait d’un département ministériel très technique, complexe, vital pour l’économie et la cohésion sociale. Il faudrait la reprise des travaux de la commission technique ou tout autre organe paritaire, capable de disposer de l’ensemble des dossiers objets du différend, de retenir les licences qui sont en conformité avec la loi et les recommandations du Crodt. Les navires qui sont hors la loi devraient sortir de la pêcherie tant qu’ils ne répondent pas aux critères d’exercice définis par le code de la pêche et celui de la marine marchande. Les Sénégalais complices de ces forfaits doivent être remis sur le droit chemin. Il est quand même paradoxal, malgré que la loi ne le prévoit pas, que la tutelle réclame des bilans comptables de sociétés existantes depuis plus de 30 ans pour renouveler leur licence de pêche et que cette même tutelle ne sente pas obligé de vérifier que des bénéficiaires de licences ne sont pas de simples bénéficiaires de commissions. Que je sache, l’autorité elle-même serait parfaitement outillée pour démêler cette situation qui est décriée comme étant des actes de prête-noms pour certains tout au moins, par la simple lecture de leurs états financiers. Tout le monde sait qui est qui dans le port de pêche.

Si rien n’est fait pour résoudre cette crise, comment se présentent pour vous, les perspectives du secteur de la pêche
A mon avis, le temps nous est compté. D’abord l’incertitude du Covid rend difficile toute projection sur le devenir de la pêche, fortement touchée par les conséquences de la pandémie. Les pêcheurs, les mareyeurs, les femmes transformatrices, les transporteurs et tous les métiers connexes vivent dans de graves difficultés cachées par la sauvegarde de leur dignité. La plupart des acteurs vivent de la sueur de leur travail et l’inquiétude se lit facilement sur leur visage, malgré les sourires accueillants et les attitudes taquines qui caractérisent les acteurs.
Si rien n’est fait, ou du moins si ces navires ne sont pas sortis de la flotte, ce sera la fin irrémédiable de la pêche. C’est simplement une question de temps. Ce n’est pas pour faire peur, être alarmiste ou encore être un oiseau de mauvais augure. Une catastrophe sans précédent est en train de s’installer dans la gestion des ressources halieutiques.
Pour s’en convaincre, il suffira de demander aux chercheurs dont la science est reconnue, de développer un modèle bioécologique et même bioéconomique sur les impacts des 56 licences accordées à ces navires étrangers.
Il faudrait que ceux qui ont les destinées de notre Nation à quelque niveau que ce soit prennent la température de la situation et agissent en conséquence. L’ennemi principal, c’est le temps durant lequel les ressources halieutiques sont actuellement agressées. Ces licences auraient été décriées même si les bateaux appartenaient à 100% à des Sénégalais. La contrainte, c’est la disponibilité de la ressource halieutique.
Si rien n’est fait, la précarité s’installera de manière importante dans le secteur de la pêche et cela impactera très profondément le tissu économique et social du pays.
Si rien n’est fait, le Sénégal continuera de perdre des emplois directs et indirects dans le secteur de la pêche avec des fermetures d’entreprises et par ricochet, dans les industries qui sont les fournisseurs des unités de traitement de poissons et des armements à la pêche.
Si rien n’est fait, le Trésor public ne bénéficiera pas des rentes économiques et financières que génère la pêche.
Enfin, et je pourrais continuer à énumérer les nombreux inconvénients induits par cette décision de mettre 56 navires dans la pêcherie. Le Sénégal paiera un lourd tribut en voulant s’inscrire de manière aussi peu structurée, en termes de choix géopolitique, dans le projet de Bri (Belt and Road Initiative) de la Chine. Nous devrions tous éviter de nous livrer pieds et poings liés aux puissances de ce monde, au détriment de notre propre survie en tant qu’Etat et Nation.
Je pense que c’est une démarche citoyenne qui incombe à chacun d’entre nous de faire le maximum pour que le droit soit dit sur cette affaire. On ne peut violer de manière aussi flagrante le code de la pêche, notamment sur le caractère de patrimoine national de la ressource halieutique (art 3), sur la concertation avec les organisations patronales (Art 5), sur la cogestion (art 6), sur l’avis obligatoire de la Ccalp (art 35) et espérer gérer le secteur au profit de l’intérêt général. La pêche n’est certes qu’un maillon de l’économie maritime mais elle est primordiale si j’en juge par la préséance dont elle bénéficie dans l’appellation du ministère. La pêche, c’est fondamentalement le pêcheur, le poisson et son écosystème. On ne peut pas ignorer le premier et occulter la capacité de l’offre du second et tendre vers une gestion efficiente du secteur. La mer ne peut donner plus qu’elle n’a et elle appartient à toute la nation. Les acteurs ne sont que des exploitants par dérogation encadrée par la loi. Enfin, un républicain ne perd jamais la face quand il s’agit d’exécuter une décision conforme aux lois votées par le Peuple, pour le Peuple.
Pour terminer, personne ne pourra dire que je n’étais pas au courant ou que je ne savais pas la gravité de la situation. En ce qui me concerne, à 70 ans et sans aucune prétention, je continuerai à m’investir dans toutes les actions tendant à raffermir la justice sociale, à œuvrer pour que mon pays soit un havre de paix, de prospérité, de dignité, d’accueil de l’autre, dans le respect de nos lois.

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