Selon Fatou Niang Ndiaye, vice-présidente du Groupement des armateurs et industriels de la pêche du Sénégal (Gaipes) «accorder une licence aux bateaux chinois, c’est entretenir le lit de la fraude».
Depuis quelques temps, les acteurs de la pêche dénoncent la volonté des autorités étatiques d’attribuer des licences de pêche à des navires chinois et turcs. De quoi s’agit-il exactement ?
Le 13 Avril 2020, la DPM (Direction des Pêches Maritimes) a convié le représentant du GAIPES à une consultation à distance au sein de la Commission consultative d’attribution des licences de pêche (CCALP) pour étudier les dossiers des demandes de licences pour 56 navires. Vu le nombre fort important de dossiers, nous avons demandé à la DPM de reporter cette consultation pour diverses raisons. D’abord, le GAIPES a dénoncé en 2019 des licences hors-la-loi. Il s’agissait de douze licences, attribuées par un ancien ministère des Pêches (Oumar Guèye, Ndlr) à des bateaux chinois, fictivement «sénégalisés». Une commission technique a été mise en place pour tirer cette affaire au clair et, jusqu’à ce jour, cette commission technique n’a pas donné ses conclusions. Nous avons même informé l’OFNAC afin que les instigateurs de ces licences hors-la-loi soient sanctionnés. Ensuite, les stocks de merlus et de pélagiques (yabooy et diaay), concernés par ces licences que le ministère veut octroyer sont surexploités, d’après les rapports des différentes scientifiques (CRODT, FAO, etc.). Enfin, en ces temps de pandémie où la pêche est durement impactée, les acteurs des pêches artisanale et industrielle ont besoin de tout le soutien de leur ministère. Les marchés d’Europe, des USA et d’Asie sont des destinations importantes pour nos exportations ; nos chiffres d’affaires ont baissé de près de 60% au cours du mois d’Avril 2020. Nous avons d’autres priorités pour garder un minimum d’activités que d’étudier de nouvelles promesses de licences à des bateaux fraudeurs
En quoi ces navires constituent-ils une menace sur les ressources halieutiques au Sénégal?
Ces navires demandeurs de licences sont faussement sénégalisés, car les Chinois et les Turcs qui sont les uniques propriétaires des bateaux, utilisent des prêtenoms qui détiendront fictivement la majorité du capital de la société qui demande les licences. En réalité, ces Sénégalais prête-noms ne vont absolument rien gérer, et les Chinois ou les Turcs vont écumer nos mers, et s’en aller vers d’autres horizons dès qu’une meilleure occasion se présentera à eux. En plus, ces bateaux ont des passés de pêche INN (Non déclarée non réglementée) et ont été souvent arraisonnés dans divers pays africains avant d’être chassés. Et pour finir, accorder une licence à ces bateaux, c’est entretenir le lit de la fraude car, ils ont pour habitude de faire passer par leur bateau avec une licence sénégalaise toutes les exportations de leurs autres bateaux n’ayant pas de licences pour bénéficier de l’origine Sénégal. Ce qui va leur donner des avantages dans l’espace de la CEDEAO (exonérations de droits de douanes, etc.). Et ces produits frauduleux vont directement concurrencer notre pêche artisanale qui vend ses captures à des usines sénégalaises qui les transforment avant de les exporter dans l’espace communautaire.
Dans ce contexte où l’on assiste de plus en plus à la raréfaction des ressources halieutiques au Sénégal, quel devrait être le rôle de l’Etat pour une gestion transparente et durable de ces ressources?
Dans un contexte global où les Etats veillent jalousement sur leurs ressources halieutiques, le rôle de notre Etat devrait s’articuler autour d’un certain nombre de points, notamment renforcer les moyens de la recherche pour faire des évaluations régulières des stocks de toutes les pêcheries afin d’adapter les politiques des pêches nécessaires (plans d’aménagement, arrêts biologiques, aires marines protégées, gels des licences, etc.). Ensuite, avoir une gestion transparente de notre pavillon et des licences de pêche en publiant le listing des bateaux sénégalais et de toutes les licences en cours avec les options de pêche. Enfin, veiller à ce que le secteur de la pêche reste entre les mains des citoyens sénégalais afin que la part des générations futures soit bien préservée dans cette mer qui nous est prêtée.
SOURCE : sudonline.sn